Cyrano de Bergerac

Le mot du metteur en scène

Dans la catégorie ne jamais cesser de croire en ses rêves, voici une des plus belles histoires de théâtre qui m’advint…

Acte 1
Celui d’un rêve de jeunesse. Jeune spectateur, je faisais la queue à la Comédie Française pour attraper les ultimes places de dernière minute au poulailler.
Ce jour-là, le Français affichait Cyrano de Bergerac avec Jean Piat.
Probablement le choc décisif. Le coup de grâce. Tu seras un homme de théâtre mon fils. Et un jour tu monteras Cyrano. Toute ma vie je me suis accroché à cette idée que la sentence proférée par nul autre que moi-même s’accomplirait un jour.
Mille fois le projet a échoué. Pensez donc, tant de personnages, tant de décors, tant de costumes, dans un théâtre privé, impossible gageure !
Acte 2
Nous sommes en 2022. La France se prépare à célébrer le quatre centième anniversaire de la naissance de Molière. Toutes les chaînes de télévision diffusent ses plus grands chefs d’œuvres. Moi je propose de monter ses petites pièces en un acte qui ont jalonné les débuts de sa carrière, avec uniquement des artistes appartenant à la fine fleur des humoristes actuels. Qui aussitôt se sont engouffrés avec enthousiasme et grand respect pour honorer comme il se doit la langue de Molière. Car l’on ne peut pas tenir un public durant une heure trente de spectacle en solo, sans posséder une discipline de fer autant au stade des répétitions que des représentations.
Parmi eux Arnaud Tsamere, par ailleurs comédien éblouissant formé à la discipline du théâtre où j’avais déjà pu l’admirer par deux fois, et qui interpréta six rôles différents de façon plus que magistrale.
À la faveur d’une petite pause entre deux intenses répétitions, un dialogue des plus impromptus s’engage entre nous.
– Mais Arnaud, tu n’as pas des fois des petites envies de retour au théâtre qui te démangent ?
– Si je ne rêve que de ça. Être en troupe. Partager. Mais je n’ai jamais le temps. Entre mes solos, les émissions de télévision et les spectacles en trio que je fais avec mes copains, là par exemple, je suis booké pour deux ans.
Ça le coup des deux ans, je connais. Je l’ai déjà pratiqué souvent. Qu’est-ce ce que c’est que deux ans ? Sept cent trente dodos. ?
Mais si un jour tu t’offrais une petite parenthèse théâtrale, y-a-t-il un rêve que tu caresserais en termes de pièce ? En termes de rôle ?
Oui il y en a un. Je rêve de jouer Cyrano de Bergerac. Depuis toujours. Et j’ai promis à mon père que je le jouerai un jour…
Acte 3
Appelez ça comme vous voudrez. Alignement des planètes, destin, fatalité, sens de l’histoire, heureux hasard, miracle…le fait est qu’à l’heure où j’écris ces lignes, nous attaquons les répétitions de Cyrano de Bergerac avec une distribution de rêve.
Dans la plus pure tradition, jouée par une troupe itinérante du temps de Molière dont Cyrano de Bergerac fut un contemporain. À la manière du Capitaine Fracasse, autre référence avérée d’Edmond Rostand. Avec Arnaud, homme de panache s’il en est, capable de toutes les émotions autant que de fantaisie. Aucune des folles contraintes économiques imposées par la pièce n’aura donc freiné la Direction du Théâtre Montparnasse.
Décidément, rien jamais n’empêchera Cyrano d’accomplir son fabuleux destin dans le paysage du Théâtre Français. Et ce pour très longtemps encore…

Alain SACHS – metteur en scène