Hommage

Myriam Feune de Colombi

Myriam Feune de Colombi
23/02/1940 – 21/04/2021

Directrice du Théâtre Montparnasse
& Petit Montparnasse
durant près de 40 ans

Ancienne pensionnaire de la Comédie française.

Chevalier de la Légion d’honneur, Officier de l’Ordre National du Mérite et Chevalier de l’Ordre des Arts et des lettres.

Médaille Beaumarchais.


Née le 23 février 1940, à La Carneille, en Normandie, elle décroche à sa sortie du Conservatoire en 1960 (où elle a été l’élève successivement de Henri Rollan et de Fernand Ledoux), un second prix de comédie moderne.

Elle joue au Théâtre du Palais-Royal La Fleur des Pois d’Edouard Bourdet, qui sera aussi l’auteur de ses débuts à la Comédie-Française, la saison suivante, dans le rôle de la volcanique Cristina du Sexe faible. Belle, brillante, élégante, elle est aussitôt distribuée dans de très nombreux rôles du répertoire : jeunes premières de Molière (Marianne, de L’Avare, Léonor de L’Ecole des Maris, Uranie de la Critique de l’Ecole des femmes), de Corneille (Clarice du Menteur) et de Marivaux (Euphrosine, de L’Ile des Esclaves). Elle est Amaroura une ravissante vahiné dans Supplément au Voyage de Cook, sœur Valentine, dans Dialogue des Carmélites, et Mme de Machault dans La Belle Aventure.

Elle passe bientôt aux grandes coquettes : Dorimène, du Bourgeois Gentilhomme, Araminte des Sincères, la Duchesse, dans Quitte pour la peur, de Vigny, avant d’aborder Célimène du Misanthrope, Roxane de Cyrano de Bergerac et Mme de Léry dans Un Caprice, de A. Musset (Le 5 décembre 1967, elle a joué avec Jacques Toja et Ludmilla Mikaël dans les salons de l’Elysées, pour une représentation exceptionnelle devant le Général de Gaulle et son gouvernement).
Dans un registre plus boulevardier, elle joue Etienne de Jacques Deval et Le Dindon de Feydeau. Bettine lors de la reprise de la pièce de Musset en 1965, et Flaminia dans La Double Inconstance de Marivaux l’année suivante, elle incarne la « Femme » sous ses aspects les plus brillants.

Dubillard (Si Camille me voyait), Maurice Druon (Un Voyageur), Strindberg (Le Songe), s’ajoutent à la liste des auteurs qu’elle interprète.

Myriam Feune de Colombi

Avant de quitter la Comédie-Française, où elle restera durant 11 ans, elle s’initie à la production en organisant des tournées avec d’autres camarades du Français dans les pays francophones : en Belgique, en Afrique Noire, aux Antilles…

Si sa prédilection pour la scène ne s’est jamais démentie, elle fait quelques incursions devant la caméra tournant pour le cinéma et la télévision sous le regard avisé d’Henri Verneuil – Le Casse 1971 – avec Jean-Paul Belmondo et Omar Sharif ou de Jean Dréville, mais toujours le théâtre la rappelle…

Myriam Feune de Colombi dans Le Casse

En 1984, lorsqu’elle fait l’acquisition du Théâtre Montparnasse avec son mari, Jean-Louis Vilgrain, elle conserve la volonté d’une programmation éclectique, brillante et variée.

Dès son arrivée elle fait rénover la façade, cariatides et mascarons retrouvent leur lustre d’antan, privilégie le confort du public en installant un bar-restaurant, veillant à tout, de la salle aux coulisses, des décors aux moindres détails des costumes, de la lumière à la qualité de l’accueil. Elle arpente son théâtre sans répit éclairant de son expertise le moindre recoin. Son bureau croule sous les projets et les manuscrits.

Elle contribue en particulier à la reconnaissance de nouveaux auteurs français tels qu’Éric-Emmanuel Schmitt (Le Libertin), Florian Zeller (La Vérité), Gérald Sibleyras (Le Vent des Peupliers, La Danse de l’Albatros), Antoine Rault (Le Diable Rouge, Le Caïman) et crée de nombreux triomphes : Le Souper, La Boutique au coin de la rue, A torts et à raisons, …
Femme de caractère et de passion, elle n’hésite pas à prendre des risques pour défendre les projets auxquels elle croit et fait en sorte que ses spectacles soient servis par les plus grands comédiens, metteurs en scène et auteurs.

Parallèlement, elle réhabilite le Petit Montparnasse, qui était initialement un ancien entrepôt de décors et qui passe d’une salle de 100 places à une salle moderne de 200 places consacrée à des écritures contemporaines et à la découverte de jeunes talents.
A nouveau, elle y fait découvrir au public des spectacles qui marqueront les esprits : Les Chatouilles ou la danse de la colère (qui sera adapté par la suite au cinéma), Ensemble, Adieu Monsieur Haffmann, Marie des poules …

Myriam Feune de Colombi et Jean-Louis Vilgrain

Nombreuses seront les pièces qu’elle aura créées et qui seront distinguées (117 nominations aux Molières dont 38 Molières remportés) entre 1987, date de création des Molières et 2021.

Elle a reçu plusieurs distinctions saluant sa contribution au rayonnement du théâtre français, elle est notamment : Chevalier de la Légion d’honneur, Officier de l’Ordre National du Mérite et Chevalier de l’Ordre des Arts et des lettres.

Elle s’est éteinte le 21 avril 2021 au matin, sa passion pour le théâtre restant toujours aussi vive jusque dans les derniers instants.


D’abord, il y a votre beauté, évidente, étincelante, drapée d’une élégance naturelle.
Puis, immédiatement, la pétillance, dans le regard, et le sourire, dont vous n’êtes pas avare. Votre œil s’enflamme parfois, pris d’une passion soudaine, mais bien vite retrouve sa lueur amusée.
Alors surgit l’humour. Un humour bienveillant, qui rit avec les autres, et non des autres.
Les fées qui se sont penchées sur votre berceau vous ont aussi donné le goût du bonheur. Et l’on se dit que, vraiment, le ciel vous a gâtée.

Mais tous ces dons, aussi précieux soient-ils, rarement réunis en un seul être, ne sont rien pour qui ne sait les exploiter. « Qu’as-tu fait de tes talents ? », nous rappelle la parabole.
Entre vos mains, ces talents sont devenus l’une des plus belles scènes de Paris. Vous auriez pu vous contenter de donner au monde le spectacle de votre raffinement, de votre finesse. Mais non. Vous avez choisi de les mettre au service des autres. Là est votre liberté. Là est votre secret : vous avez le goût des autres.
Vous aimez les mots autant que le jeu. Les décors autant que les inventions scéniques.
Vous avez porté, encouragé, soutenu, ces êtres inquiets que sont les auteurs, les metteurs en scène, les comédiens. Vous avez su faire éclore leurs talents. A force de travail, de persévérance, de prévenance.

Ce qui brille et saute aux yeux n’est pas toujours le reflet du cœur. Le vôtre déborde. Pour les plus modestes comme pour les plus en vue. Et s’il vous arrive, dans un de ces moments fébriles qui font le quotidien d’un théâtre, d’avoir un mot un peu rude pour l’un ou l’autre, vous tâchez toujours de le rattraper, par un geste ou une attention.
Si vous aimez la scène, où vous êtes vous-même montée, à titre personnel vous n’êtes jamais en représentation. Vous ne jouez pas la comédie – encore moins le drame. Affirmant sans fard vos convictions. Vos préférences. Vos doutes. Curieuse, passionnée. Votre esprit vif s’intéresse à tout, et devine beaucoup.

Tous les hommes se valent, mais toutes les vies ne se valent pas. Et si la vôtre est si riche, c’est aussi grâce à Jean-Louis Vilgrain, votre époux. La tolérance et la délicatesse faites homme. Industriel à la sensibilité artistique, pianiste à ses heures, spectateur assidu des pièces que vous montez. L’amour entre vous deux se lit à livre ouvert. Il est aussi votre ami, votre complice. Souvent, il vient s’asseoir au fond de la salle, incognito, pour assister aux répétitions. C’est votre baromètre : « Si Jean-Louis est ému, dites-vous, je sais que le spectacle marchera. S’il s’ennuie, je suis inquiète… ».

Vous partez…Ce n’est pas un adieu, mais un aurevoir. Car vous avez toujours cru à la renaissance, à une forme de résurrection. Depuis toujours, vous entretenez un dialogue avec les êtres chers qui vous ont quittée.

Alors, Myriam, nous vous parlerons. Répondez-nous. Mais il faudra parler fort : les vivants sont souvent sourds…

Hervé Bentegeat – auteur et ami
Myriam Feune de Colombi
23/02/1940 – 21/04/2021